• MARTHE DE FLORIAN, BLONDEUR ROSE ET NOIR ET BLANC

    Et puis, durant l'été qui s'accroche aux persiennes,
     Dans la chambre, pendant les chauds après-midi,
     Tout ce que tu disais et tout ce que j'ai dit…
     -La poussière dorée au plafond voltigeait,
     Je t'expliquais parfois cette peine que j'ai
     Quand le jour est trop tendre ou bien la nuit trop belle
     Nous menions lentement nos deux âmes rebelles
     A la sournoise, amère et rude tentative
     D'être le corps en qui le coeur de l'autre vive;
     Et puis un soir, sans voix, sans force et sans raison,
     Nous nous sommes quittés; ah! l'air de ma maison,
     L'air de ma maison morne et dolente sans toi,
     Et mon grand désespoir étonné sous son toit1!

     

    Autrefois, dans cet appartement qui fut la propriété de Marthe de Florian (1864-?), une courtisane de la Belle-Epoque, il y a eu de la vie. Des amants, des dîners, de longues attentes, des heures passées à se coiffer, enfiler les toilettes, celles de l’après-midi pour la promenade au Bois, celle du soir, la robe de bal ou la robe d’intérieur…

    Tout est calme maintenant. Presque rien n’a bougé depuis 1942 lorsque la petite-fille de Marthe de Florian, Solange Beaugiron, quitte précipitamment le lieu pour rejoindre la zone libre dans le sud de la France. Cette femme payera le loyer jusqu’à sa mort en juin 2010.

    L’histoire a beaucoup circulé à l’époque. Le mystère autour de cette femme qui pendant soixante dix ans ne cherchera pas à revenir en ces lieux, dans le IXè arrondissement de Paris, près la l’église de la Sainte Trinité fascine. Les images sont également saisissantes : l’intérieur fait Belle-Epoque, comme figé dans le temps. A part quelques détails, comme la peluche Mickey Mouse (personnage inventé en 1928) qui laissent imaginer que certaines pièces ont été occupées dans les années trente, tout semble dater de 1900. On a aussi beaucoup parlé du portrait peint par Giovanni Boldini, découvert parmi les objets et jusqu’alors inconnu, représentant Marthe de Florian dans une robe rose éblouissante. Le tableau daté de 1898 (Marthe aurait alors 34 ans…) estimé à 300 000 euros s’est vendu à 2,1 millions…

     

    Mais là n’est pas l’objet de cet article.

    Ce qui fascine, c’est d’avoir d’un côté ce portrait peint en couleur par le fameux peintre mondain Boldini, exécuté dans un style véritablement Belle-Epoque, d’une femme dont on ne sait rien et de l’autre des photographies de son espace intime, laissé tel quel (les piles de lettres, les accessoires sur la coiffeuse…) qui surprennent par leur rendu chromatique.

    Parmi les objets de l'appartement, un portrait de l'actrice dans une robe en mousseline rose, peint par Giovanni Boldini.

     

    Ce tableau était resté inconnu, jamais répertorié, ni exposé.

     

    Le tableau date de 1898, alors que Marthe de Florian avait 34 ans. Ce tableau a été vendu aux enchères 2.1 million €.

     

     

     

    En effet, ces images sont en couleur et le « piqué », s’il en est, est bien contemporain mais elles semblent avoir été prises à l’époque car rien n’a bougé : les meubles, les objets, les rideaux, les tableaux. Tout semble avoir été laissé sous cloche, en sommeil. C’est un décor d’antan capturé avec un appareil produisant une image « contemporaine ». Réalisées en 1900, elles auraient sûrement été en noir et blanc. Le monde du début du XXè siècle, tel que nous l’imaginons est foncièrement noir et blanc, à quelques rares exceptions près avec l’autochrome. Ces images sont d’autant plus fascinantes qu’une couche de poussière ajoute un ton légèrement grisé, blanchi, homogène. Elle paraissent retouchées.

     

    Une fine couche semble recouvrir l’ensemble, telle la poudre de riz que les femmes appliquaient sur leur le visage dans les années vingt pour estomper les marques de fatigue, les traces de vieillesse.

     

    De ces images, une réelle beauté émerge, troublante et magique.

     

    J’aurais aimé en voir d’autres. Notamment celles de la chambre…

    Marthe de Florian était une demi-mondaine.

     

    Par la correspondance découverte également sur place, on lui connaît maintenant des amants célèbres :

     

    Gaston Doumergue (le 13ème Président de France),

    Paul Deschanel (11ème Président de France),

    Georges Clémenceau avant d’être Ministre.

     


    Il est dit qu’elle fut actrice, mais son nom n’apparaît dans aucune revue de l’époque, seulement dans le Gil-Blas, à une période précise entre 1893 et 1902. Proche de la comtesse Béatrix de Castillon, comédienne et chanteuse, dont le nom est mentionné dans Le Figaro, Le Monde Artiste, La Lanterne ou encore le Gaulois, celui de Marthe de Florian n’est associé qu’à un seul art, non pas celui du théâtre ou de la chanson, mais l’art de la toilette.

     

    Son nom en effet évoque beauté et idéal.

     

    Elle côtoie des actrices, des femmes du monde mais il semble qu’elle ait surtout « collectionner » les amants… Une « flirteuse de haute gamme » comme la décrit Le Diable boiteux dans le Gil-Blas du 20 avril 1899.
    Dans ce journal, l’auteur sous le pseudonyme de Diable Boiteux n’omet jamais une occasion de compter Marthe de Florian parmi les élégantes célèbres du moment. Sa période de gloire dans ce quotidien ne durera que neuf ans, avec un pic de 1898 à 1900. Après 1902, plus rien.

     

    Quand on parcourt les pages du Gil-Blas, on comprend que Giovanni Boldini ait réalisé son portrait en 1898. Elle est alors au faîte de sa gloire. Que fait-elle? Elle fait partie du Beau Monde. Elle se promène dans l’allée des Acacias, aux courses de Longchamp, au Palais de Glace. Elle est conviée à des dîners, dans des salons, chez l’une et chez l’autre. Elle flâne, elle parade. Son périmètre d’activité est finalement très fermé : le Bois, Auteuil et Longchamp, Palais de Glace : voilà les trois lieux parisiens où on peut l’apercevoir…

    Sportwoman (en chic pedestrian) , drivingwoman (au volant de sa Renault tonneau), selectwoman (sur le ring d’Auteuil)… Elle a alors tous les attributs d’une femme à la mode.
    Si l’on voulait résumer les aspects de sa beauté, on la qualifierait, pour reprendre ici les termes trouvés dans le Gil-Blas d' »exquise », d' »héraldique », « d’idéale fée blonde », « de merveilleuse apothéose de la beauté blonde », de « majestueuse », d' »impérieuse », de « Vénus » à partir de 1900 qui serait un sobriquet inventé par le comte S… En 1900 Marthe de Florian est « belle de l’aristocratique beauté des châtelaines, pour lesquelles, on rompait des lances au temps de la chevalerie ».

    Mais a-t’elle été photographiée?

    Malheureusement la photographie en noir et blanc permet difficilement de repérer l’élégante blonde parmi la foule de mondaines à Longchamp… Après examen d’un recueil trouvé à la Bibliothèque Nationale de France, de la collection Georges Sirot (1898-1977), rassemblant plusieurs clichés de jolies dames pris à Longchamp, pendant les courses, je me suis pris au jeu d’identifier une « possible » Marthe de Florian parmi les promeneuses… De dos sous un soleil éblouissant? Serait-ce elle, cette « beauté héraldique » le bras appuyé sur l’ombrelle? Ou occupée à lire une chronique mondaine entourée degentlemen attirés eux, par la course?

    Où est sa blondeur dans ce noir et blanc?

    Nous restent finalement que le décor dans des couleurs « passées » un peu « défraîchies » et le rose de sa robe peinte pour la ramener à la vie…

    1. Anna de Noailles, L'adolescence, dans L'Ombre des jours, 1902 [
    « André MALRAUX sa biographie officielle JOURNAL INTIME du CHIEN et celui du CHAT »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :